Quand l'encadrement du droit de propriété s'impose au bailleur-vendeur et non au locataire
Paris, Pôle 5, ch. 3, 1er déc. 2021, n° 20/00194
Voici une illustration originale de la mise en œuvre du droit de préférence à son profit, par le locataire qui avait établi une stratégie d’acquisition des murs quelque peu particulière. Une promesse de vente est convenue entre le bailleur et un tiers acquéreur, s’agissant d’un local commercial et de deux places de parking. Si le droit de préférence du locataire n’est pas un obstacle à la signature d’un tel acte, il en constitue une condition suspensive.
Justement, le locataire l’a mis en œuvre à son profit, le revendant à son tour, moins d’un mois plus tard (acquisition le 29.9.2016 et revente le 21.10.2016).
Le tiers acquéreur assignait le locataire et l’acquéreur « final » du bien, aux fins d’obtenir la nullité des ventes successives, la régularisation de la vente à son profit et l’octroi de dommages et intérêts.
Débouté en première instance, le tiers acquéreur interjetait appel. Néanmoins, la juridiction parisienne confirme le jugement en toutes ses dispositions.
L’article L.145-46-1 s’applique-t-il aux locaux de bureau soumis au statut ?
le tiers acquéreur prétendait que le locataire ne bénéficiait pas de la préférence légale en ce que les locaux étaient à usage exclusif de bureau. La cour d’appel rejette le moyen au motif que l’activité exploitée de « syndic de copropriété, location, transaction » est une activité commerciale. En d’autres termes, ce n’est pas la destination des locaux qui prédomine, mais leur « affectation à un usage commercial » qui détermine l’application du droit de préférence.
Le droit de préférence trouvait donc à s’appliquer.
Le locataire peut-il revendre immédiatement le local acquis au terme d’un droit de préférence légal ?
La cour répond par l’affirmative.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, en ce que le droit de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce a pour finalité de permettre au locataire de pérenniser son activité en devenant propriétaire des murs, rien ne l’en empêcherait, en qualité de propriétaire « d’en disposer librement, même dans un délai rapproché », cette « revente à une société juridiquement distincte procèd[ant] d’un choix de gestion et non d’une quelconque intention de nuire ».
En conclusion, la cour parisienne considère que le droit de préférence légal s’impose au propriétaire, au seul profit du locataire, qui voit ainsi son activité protégée d'une éventuelle perte de locaux et de clientèle, le cas échéant. Le mécanisme encadre donc le droit de propriété du bailleur-vendeur. Mais une fois la vente réalisée, l’affectation initialement souhaitée par la représentation nationale, au terme de la loi Pinel, semble s'effacer au nom du respect du droit de propriété de l’acquéreur. A moins que la revente du local par le locataire-propriétaire ne soit justifiée par la protection de son activité … C’est ce à quoi, semble-t-il, la juridiction conclut : les magistrats parisiens évoquent en effet "le choix" de la préservation de ses intérêts par le locataire, en procédant à leur revente à une société de gestion. Pour être complet, le locataire a vendu le bien à un montant supérieur de 30 000 euros au montant payé au bailleur-vendeur.